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Fouille programmée du site Porz ar Puns, île de Béniguet, Le Conquet, Finistère

Historique des recherches

Au sud-est de l’archipel de Molène, l’île de Béniguet est connue pour receler de nombreux mégalithes grâce aux travaux de P. du Chatellier et A. Devoir au début du XXe siècle. À partir des années 1930, plusieurs archéologues s’intéressent sporadiquement à l’île de Béniguet. Parmi ceux-ci, on peut mentionner S.-J. Péquart qui était en quête d’un amas coquillier mésolithique. Après-Guerre, A. Cailleux puis P.-R. Giot mentionnent successivement la découverte d’amas coquilliers et de squelettes au sud-est de l’île. Ces trouvailles ne suscitent guère l’enthousiasme de P.-R. Giot qui pense avoir affaire à des vestiges modernes. À partir des années 2000, des prospections archéologiques systématiques sont mises en œuvre dans l’archipel de Molène afin d’évaluer le potentiel de ces îles. Ces travaux ont donné lieu à plusieurs opérations de sondages et fouilles qui ont permis de démontrer l’ancienneté de plusieurs amas coquilliers s’échelonnant du Néolithique récent au Moyen Âge, de documenter un tertre funéraire du Néolithique moyen 1 (Ledenez vihan de Kemenez), un four à sel gaulois (Trielen) et de découvrir des habitations en pierre sèche de l’âge du Bronze ancien à Beg ar Loued sur l’île Molène. Depuis 2011, des prospections et des sondages autorisés par le DRASSM ont été réalisés par H. Gandois en plusieurs points de l’archipel et ont porté notamment sur la reconnaissance des barrages de pêcheries d’estran, sur des amas coquilliers ou des indices d’habitats. La fouille programmée de Porz ar Puns s’inscrit donc dans la suite logique du programme archéologique molénais et vise à mieux comprendre le mode de vie des sociétés littorales passées via une approche interdisciplinaire.

La découverte de l’amas coquillier

Suite à la succession de tempêtes de l’hiver 2013-2014, l’érosion marine, particulièrement active, a mis au jour plusieurs sites archéologiques le long du trait de côte de Béniguet.

L’un d’entre eux correspond à un niveau coquillier localisé au sud-est de l’île dans sa partie la plus étroite là où avaient été recueillis par le passé des ossements humains datés du haut Moyen Age (cf. supra). Le recul de la dune, épaisse d’environ 3,5 m à cet endroit, a permis son observation. H. Gandois est le premier à le décrire (2015, p. 69) : « Il semble d’assez grandes dimensions car la partie visible s’étendait sur au moins 9 m de long pour une largeur entre 60 et 90 centimètres et une puissance stratigraphique d’environ 10 centimètres ; l’encaissant est un limon argileux brun ocre. L’étendue de l’amas dans les terres est inconnue, mais il semble très dense et compact. Deux prélèvements de 60 l ont été réalisés à 4 mètres de distance l’un de l’autre, ils ont été tamisés à la maille de 2,33 mm puis les refus de tamis ont été triés à la pince à épiler. » Un abondant mobilier archéologique y a été récolté comprenant de la céramique attribuée sans plus de précision au Néolithique, du silex et du cristal de roche taillés, deux ébauches de perles en test coquillier ; en ce qui concerne les écofacts, outre la malacofaune, de très nombreux restes ichtyologiques, carpologiques, anthracologiques, ainsi que des éléments de grande faune terrestre ont également été mis au jour. » Des observations complémentaires effectuées par P. Yesou (conservateur de la réserve de Beniguet) et des levés topographiques de P. Stéphan ont permis de suivre l’amas coquillier sur près de 20 mètres. En 2017, une datation 14C est effectuée sur un grain d’orge issu de l’amas et donne la datation suivante 4735 +/- 35 BP, soit 3633-3377 Cal BC (Lyon-13167 / SacA45897), ce qui correspond au Néolithique récent (Gandois et al., 2017). Malheureusement, aucun relevé ne permet de connaître la position stratigraphique de ce grain d’Hordeum vulgare au sein de l’amas (qui est composé de trois sous-couches ; cf. infra)

Afin de préciser l’étendue et la chronologie de cet amas coquillier, une première campagne de fouille programmée a été organisée en août 2021. Cette opération s’intègre dans plusieurs programmes de recherche visant à une meilleure compréhension des sociétés littorales durant la Préhistoire.

Première campagne de fouille

Méthodologie

La stratégie de fouille a consisté à nettoyer en surface (galets apportés par les tempêtes et sable issu d’éboulements de la dune) l’ensemble de l’amas dégagé en haut d’estran par l’érosion marine. Si l’amas s’arrête de manière assez nette au sud, nous n’avons pas pu poursuivre nos investigations en partie nord car nous nous serions retrouvés à travailler à l’aplomb d’une ruine contemporaine dont un des murs menace de s’effondrer sur la grève. Cette opération a toutefois permis de suivre l’amas coquillier sur près de 50 m, ce qui en fait le plus vaste niveau coquillier de tout l’archipel (fig. 1).

Fig. 1. L’amas coquillier visible en haut d’estran sur près de 50 m après son nettoyage (photo au cerf-volant P. Stéphan, 2021).

Des prospections au géoradar (P. Stéphan) et magnétiques (F. Lévêque) ont été conduites sur le site. Les premières sont en cours de traitement. Quant aux secondes, le nuage de mesure d’intensité de champ magnétique montre que les valeurs les plus élevés correspondent aux amas coquilliers. Pour être pertinent, ce test devra être élargi.

Fig. 2. Plan des sondages effectués en 2021

Nous avons sondé le site en trois points de manière à évaluer la puissance stratigraphique de l’amas coquillier (fig. 2). Dans un premier temps, une coupe en paliers (TR0) a permis de reconnaître une succession d’occupations interstratifiées dans la dune. Deux échantillons (ossements de caprinés) provenant des couches (H3 et X1) ont d’ores et déjà été envoyés au laboratoire Beta Analytic. Par ailleurs, trois prélèvements dans deux des couches dunaires (H4, X2) ont été effectués par P. Stéphan afin de les dater par OSL (G. Guérin, Géosciences Rennes). Nous prévoyons également de faire réaliser une datation pour chaque sous-couche de l’USX3.

Fig. 3. La stratigraphie de Porz ar Puns en tranchée 0.

Ensuite, deux tranchées implantées perpendiculairement au trait de côte (fig. 3) et protégées par des coffrages en bois ont permis de fouiller par quart de m2 les couches les plus anciennes. L’ensemble des sédiments extraits a été tamisé à une maille de 4 mm et jusqu’à 500 µm pour 10% de la surface ouverte (fig. 4).

Fig. 4. Méthodes de fouille
Fig. 5. Photographie et relevé de la coupe stratigraphique de la tranchée 2, montrant les successions de couches Pré-Protohistoriques.

Stratigraphie

À ce stade, les occupations mises au jour se succèdent de la manière suivante (fig. 3 et 5) :

1/ Sous le sable, un premier niveau coquillier d’une vingtaine de cm d’épaisseur (US X3) que l’on observe dans les trois sondages et qui correspond à celui observé en haut d’estran en 2014. On peut le subdiviser en trois sous-couches, la première (US X3c) étant au contact d’une couche limono-argileuse, la seconde (US X3b) – la plus riche en restes coquilliers –, et la plus haute (US X3a) correspondant à l’interface avec le niveau dunaire qui la surmonte (fig. 5). Ce premier amas coquillier livre de nombreux restes fauniques (coquilles de patelles dominantes, moules et oursins en plus faible quantité, ossements de poissons dominés par la daurade, le bar et la vieille, mammifères domestiques et d’oiseaux), des pierres taillées (silex, grès armoricain, quartz) dont quelques grattoirs sur entame, un éclat de lame polie en dolérite de couleur vert sombre, des outils sur galets et des tessons très morcelés auxquels on peut ajouter des charbons de bois et des graines. Certains tessons de céramique présentent des décors linéaires incisés qui pourraient se rattacher au Néolithique final (style de Conguel ?), d’autres semblent correspondre à une tradition campaniforme (engobe rouge, ligne de chevrons). On note également la présence de plusieurs coquilles du mollusque gastéropode marin du genre Trivia, appelé communément « grain de café », dont deux ont été perforées pour être montées en perles tandis qu’une troisième est restée au stade d’ébauche.

La réalisation de deux séries de carottages dans la continuité des tranchées 1 et 2 a permis de suivre ce niveau coquillier sur une vingtaine de mètres de longueur vers l’intérieur de l’île (fig. 6). Toutefois, la densité de coquilles semble s’amenuiser lorsque l’on s’éloigne du trait de côte, la matrice limono-argileuse qui les englobe devenant peu à peu stérile. Ce niveau pourrait ainsi s’étendre sur une surface approchant les 1 000 m², épousant une pente douce naturelle.

Fig. 6. Approches géomorphologiques développées à Porz ar Puns.

2/ Cette première couche anthropique est surmontée par un niveau de sable jaune meuble (US X2), d’environ 30 cm d’épaisseur, en partie perturbé par les terriers de lapins et stérile d’un point de vue archéologique en tranchée 0 et 2. La tranchée la plus méridionale (TR1) a néanmoins livré une structure en pierres, observée sur 2 m de longueur.

Fig. 7. Vues zénithales de l’empierrement reconnu dans l’USX2, TR1 et attribuable à l’âge du Bronze ancien.

Elle est composée de petites dalles de gneiss et de galets, dont certains réemployés (un couple composé d’une enclume et d’un percuteur pour le débitage du silex). La structure se développe selon un axe est-ouest sur lequel viennent se greffer quelques pierres disposées perpendiculairement. Le peu de soin accordé à cet aménagement pourrait laisser penser à une structure plutôt éphémère, éventuellement un calage en pierres pour un habitat temporaire. Au contact de cette structure, se trouvaient des restes fauniques, principalement composés de patelles.

3/ La partie supérieure de cette couche dunaire (US X2) est surmontée d’un niveau coquillier légèrement compact d’une dizaine de centimètres d’épaisseur emballée dans une matrice sableuse assez grossière avec peu de masse fine limono-argileuse (US X1). La densité de cet amas varie d’une tranchée à l‘autre (les tranchées 0 et 1 sont plus denses que la 2).

Fig. 8. USX1 en TR2, couche organique du Bronze ancien avec une concentration de patelles et de charbons de bois.

Le matériel faunique (grands mammifères, poissons) y est particulièrement bien conservé et abondant. Pour la malacofaune (fig. 9), les coquilles de moules ont par exemple conservé leur couleur mauve et celles de patelles leur aspect nacré sur le bord interne. Si la patelle domine les coquilles présentes, on note la présence assez forte de moules de grandes dimensions (jusqu’à 8-9 cm) et, dans une moindre mesure, d’ormeaux pour les espèces consommées.

Fig. 9. Quelques restes remarquables de malacofaune.

Les tessons de céramique sont fragmentés mais présentent souvent des traitements de surface très soignés qui s’apparentent à un poli (aspect vieux cuir qui rappelle les productions de Beg ar Loued). Les rares décors concernent des rainures parallèles horizontales ou des chevrons emboîtés. Lors du tamisage, quelques grains de céréales et au moins un fragment de coque de noisette ont été observés. Le matériel lithique est relativement rare, en particulier le silex mais le macro-outillage sur grès armoricain et le quartz taillé sont bien représentés.

Cette occupation que l’on peut attribuer à l’âge du Bronze ancien est recouverte dans la TR0 par une couche de sable brun dunaire avec quelques patelles. Cette couche d’une dizaine de centimètres montre qu’il y a une pédogénéisation de la dune. Les carottages menés dans le prolongement des tranchées 1 et 2 ont permis de suivre cette couche X1 jusqu’à une quinzaine de mètres vers l’intérieur de l’île, tandis que l’épaisseur de dune préhistorique s’amoindrit.

4/ Cette couche est ensuite recouverte par une dune de sable blanc épaisse de près de 80 cm qui est complétement stérile. Il est important de signaler que du fait de l’instabilité de la dune, il n’a pas été possible de réaliser de coupes complètes sur les trois sondages. Seule la TR0 a pu être relevée avant qu’elle ne s’éboule, toutefois certaines observations complémentaires ont pu être faites dans les autres tranchées.

5/ En TR0, cette épaisse couche de sable blanc est surmontée d’une couche de sable éolien gris renfermant dans sa partie supérieure une poche coquillière très riche en patelles et des blocs de pierre roulés qui semblent parfois agencés. À noter aussi dans cette couche la forte activité des lapins comme l’aspect pulvérulent du sable rendent difficiles les observations in situ mais un troisième niveau d’occupation humaine est bien attesté, datant selon toute vraisemblance du Moyen Âge. En TR2, plusieurs aménagements de type fosse dépotoir ou trous de piquets ont été creusés au dépend de la couche de sable blanc. Il n’est pas impossible qu’il faille mettre ces structures en parallèle avec les découvertes d’ossements humains qui apparaissent régulièrement à la sortie des terriers de lapins à quelques mètres au nord. L’un de ses os avait été daté par 14C et avait donné le résultat suivant : 1320 ± 30 BP (Beta-334798), ce qui correspond aux intervalles 652-725 cal AD et 738-771 cal AD, soit la période mérovingienne (Pailler, Nicolas, 2019, p. 342).

6/ En TR0, cette couche est surmontée d’un niveau de sable gris éolien très riche en petits graviers roulés (dépôts de tempête). En TR1, nous avons reconnu une couche de blocs roulés orientés NO-SE présentant tous un même pendage qui fait penser à un mur effondré à la manière d’une pile d’assiettes. L’ensemble est très perturbé par les lapins mais il semble que les pierres apparaissent dans la couche de sable gris à graviers et viennent perforer la couche de sable gris éolien sous-jacente. Dans tous les cas, ce niveau de pierre se superpose à la couche de sable blanc. Nous avons recueilli à la base des pierres quelques bords plats de céramique médiévale dont certains en poterie onctueuse. Il est donc probable que nous soyons face aux vestiges d’un bâtiment ruiné du Moyen Âge classique.

7/ La stratigraphie s’achève par la mise en place d’un sol moderne brun moyen sableux. En TR1, ce sol moderne et les deux couches de sable gris sont recoupés par un dépotoir contemporain qui a dû être en usage entre les années 1960 et 1990 d’après les vestiges mis au jour (bouteilles de verre, canettes de jus de fruit et de bière en verre, boîtes de conserve, piles usagés, résidus de béton). Quelques objets plus anciens trouvés en mélange (faïence, bouteilles de bière, verres à pied, fioles en verre, literie, outils) qui semblent appartenir à la première moitié du XXe siècle pourraient correspondre au vidage de l’intérieur de la ferme lors de sa reprise par la Fédération départementale des chasseurs entre 1954 et les années 1980.

À la fin de la fouille (fig. 10), les coffrages en bois ont été démontés et les tranchées rebouchées manuellement. En accord avec les agents de l’OFB, le matériel de fouille (pelles, pioches, truelles, brouettes, etc.) et le bois nécessaire au coffrage ont été rangés et stockés sur l’île.

Fig. 10. Démontage des coffrages et mise en place d’un dallage de pierre pour protéger les couches archéologiques et rebouchage manuel des tranchées et dépollution du site.

La post-fouille en laboratoire

À la suite de la fouille, nous avons organisé un stage d’une semaine pour avancer sur le tri des sédiments. Ce stage s’est effectué dans une salle de travaux pratiques du département de Biologie de l’UFR Sciences et Techniques de l’UBO à Brest. Ce stage a regroupé en moyenne une quinzaine d’étudiants et plusieurs chercheurs impliqués dans le programme de recherche pour les encadrer (fig. 11). Ce stage a aussi donné lieu à plusieurs conférences courtes sur des thèmes en lien avec le chantier de fouille (palynologie marine et terrestre, sclérochronologie, malacologie, étude des squamates et batraciens, étude de l’ichtyofaune, ADN ancien). Ces locaux sont parfaitement adaptés à genre d’analyses car ils comportent paillasses, éviers, matériel de tri (pince à épiler, boites de Petri…), collections de comparaison (pour les coquillages) et loupes binoculaires.

Fig. 11. Stage de post fouille en fac de Sciences (tri, détermination, conditionnement et conférences).

Au total, l’ensemble des sédiments (maille 4 mm) issus de l’US X2 pour la tranchée 1, de l’US X3 pour la tranchée 2 ont pu être triés et seront remis prochainement aux spécialistes qui en assureront l’étude. Pour la tranchée 0 où le matériel était plus rare, les différentes couches ont pu être triés jusqu’à la maille de 2 mm. Devant la masse de sédiments encore à tamiser, nous prévoyons d’organiser un nouveau stage de tri au mois de juin 2022 lorsque les salles de TP seront à nouveau disponibles, dans le but d’achever le tri des sédiments avant le démarrage d’une deuxième campagne de fouille (fig. 12).

Fig. 12. Fiche de synthèse

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