Semaine 19, du lundi 09 mai au vendredi 15 mai
Equipe composée de Marie Cormier (PIIRESS), Gilles Durbet (Inrap), Clément Féliu (Inrap), Benjamin Fores (Inrap), Marc Gransar (Inrap), Alexandre Hublart (DTAM), Yvan Pailler (Inrap/UBO), Maxime Pallarès (Inrap), François-Xavier Simon (Inrap).
Durant cette semaine, les prospections se sont poursuivies autour des trois secteurs préalablement définis autour de l’anse de Miquelon et ont été quelque peu élargies.
Quelques nouvelles autorisations de prospections nous sont parvenues durant la semaine pour la zone urbanisée près du bourg. Les prospections sont désormais achevées et nous donnent une vision globale du secteur à l’ouest du bourg (fig. 1). La remise en fonctionnement de la station RGP de Saint-Pierre a permis aux géophysiciens de couvrir davantage de terrain et de rattraper le retard pris lors de la semaine précédente du fait de ce problème technique.
A cause de la marge d’incertitude de certaines cartes marines anciennes, nous avons également décidé d’étendre notre champ d’investigation un peu plus vers le nord, entre le Fond de l’Anse et le Petit Gabion (fig. 1).
Fig. 1. Carte des zones prospectées.
A gauche, carte des parcelles prospectées autour de l’anse de Miquelon ; à droite, autres zones prospectées, de haut en bas : Roche à Biche et étang du Chapeau ; Ruisseau de Mirande ou des Godiches ; Rive nord du Grand Barachois.
La recherche d’amas coquilliers contemporains des premières occupations européennes de Miquelon ayant été annoncée dans notre projet initial, nous avons souhaité nous faire une idée de ceux connus le long de la rive nord du Grand Barachois dont l’un a fait l’objet d’un sondage en 2021 par l’équipe archéologique menée par R. Augier et G. Marchand. Cela explique également les prospections exploratoires menées le long de l’étang du Chapeau.
Comme la semaine passée, nous avons pu compter sur l’appui technique d’A. Hublart de la DTAM pour le pilotage du drone et l’aide logistique de M. Cormier de la PIIRESS. Nous tenons à remercier chaleureusement Roger Etcheverry et Jean-Pierre Detcheverry pour les informations qu’ils nous ont transmises sur les occupations anciennes de Miquelon.
Le matériel découvert sur le terrain a été nettoyé, inventorié et photographié. Les photographies associées aux inventaires ont été envoyées à F. Ravoire pour une première expertise.
Méthodologie
La méthodologie mise en œuvre est la même que celle décrite dans le compte-rendu de la semaine 18 en ce qui concerne les prospections pédestres et les prospections géophysiques.
La réalisation d’un MNE (modèle numérique d’élévation) est fondée sur la méthode de la photogrammétrie. Celle-ci consiste à créer des modèles 2D ou 3D à l’aide d’images prises par drone aérien (image nadirale). Les étapes pour la constitution d’un MNE sont les suivantes :
1 – Prises de vue. Nous prenons une série de photos aériennes à l’aide du drone. Les photos recouvrent l’ensemble de la surface étudiée et sont prises de façon régulière avec un recouvrement longitudinal de 80% et un recouvrement latéral de 70%.
2 – Chaque photo est par la suite recalée en X, Y et Z grâce à des cibles qui ont été préalablement posées et relevées au DGPS lors de la prise des photos.
3 – Le logiciel va ensuite créer un “nuage de points” qui résulte d’un calcul des “points de liaisons” de chaque photo entre elle.
4- Le MNE et les orthophotos sont calculés à la suite de ce nuage dense. Ce modèle permet par la suite de faire ressortir des fondations parfois difficilement visibles à l’œil nu.
Dans le cadre de ce rapport, seule la partie orientale du site de Roche à Biche a pour l’instant fait l’objet d’un MNE.
A l’ouest du bourg actuel
Les prospections pédestres ont été poursuivies dans le secteur du bourg, essentiellement dans les parcelles non loties entre les maisons (fig. 1).
Fig. 2. Parcelles ayant livré des artefacts ou des structures à l’Ouest du bourg actuel
Dans la moitié nord de la parcelle MAH 0070 appartenant aux Sœurs de la Congrégation, deux plateformes sont visibles et pourraient correspondre à l’emplacement d’anciennes habitations (fig. 2). L’une d’entre elles émerge d’une trentaine de centimètres du sol environnant et dessine un vaste trapèze avec une légère dépression en son milieu (cave ?). Viennent s’ajouter à ces plateformes, des éléments de parcellaires qui pourrait délimiter des jardins.
Les parcelles MAE 0012 et 0013 ont également été arpentées (fig. 2).
La première, très végétalisée, ne laisse apparaître que d’anciens cordons de galets allongées semblables à ceux visibles sur l’ensemble de La Plaine.
La seconde a livré plusieurs éléments intéressants. Tout d’abord, dans sa partie nord-est, deux plateformes quasi adjacentes sont visibles et pourraient correspondre à deux habitations. En partie médiane, quelques limites de parcelles se coupant orthogonalement sont encore visibles. Enfin, au sud-ouest, quelques « rides » de galets présentent un aspect accidenté sur une bande d’environ 30 à 50 m. Dans ce secteur, ces buttes laissent apparaître des galets à leurs sommets ou sur leurs flans. Du mobilier, composé de céramique, de fragments de briques ainsi que de quelques fragments de pipes en terre a été mis au jour dans ces secteurs érodés (fig. 3).
Fig. 3. Fragments de pipes en terre et tessons de céramiques et de faïence issus de la parcelle MAE 0013 (photos G. Durbet).
La parcelle MAE 0088, a livré quelques fragments de briques. Le relief, assez plat, ne laisse pas apparaître d’aménagement particulier.
Malheureusement, les prospections géophysiques dans ces parcelles n’ont pas été probantes du fait de la trop grande proximité des habitations qui brouillent le signal.
La prospection de la zone correspondant au bourg sur les plus anciennes cartes aura permis de mettre au jour au moins 4 plateformes toujours en élévation ainsi que des éléments de parcellaires. Si l’on se fie aux cartes dont nous disposons et que nous avons géoréférencées (Bellin, Fortin, de Kervegan, de Carpilhet, Plan de la rade et de la partie habitée de l’île Miquelon, La Roche Poncié), ces bâtiments sont localisés dans la zone habitée du bourg au XVIIIe siècle même si certains pourraient être tangents avec les habitats des cartes du XIXe siècle (fig. 4). Dans les parcelles cultivées, les zones de concentrations de briques mises en évidence la semaine passée reflètent vraisemblablement là-aussi l’emplacement d’anciens bâtiments, qui d’après leur localisation, devraient avoir fonctionné au XVIIIe siècle. Au terme des prospections à l’ouest du bourg actuel, il est probable que nous ayons retrouvé une partie des habitations (ou ce qu’il en reste) des villages qui se sont succédé au XVIIIe siècle.
Fig. 4. Superposition des cartes du XVIIIe siècle et des vestiges repérées en prospection de surface (le code couleur est le même que pour la figure 2).
Le Fond de l’Anse jusqu’au Petit Gabion
Le quartier du fond de l’anse a fait l’objet de prospections systématiques durant la semaine mais l’analyse des données géophysiques et topographiques est toujours en cours de traitement. Par ailleurs, nous avons étendu nos prospections vers le nord en direction du Petit Gabion et, vers le sud, juste au-dessous de l’embouchure du Ruisseau de l’Anse dans la parcelle MAB0006 où De Kervegan (1784) signale une habitation (fig. 1).
Avant de disposer d’une cartographie détaillée des plateformes et du parcellaire repéré, on peut toutefois proposer pour ce secteur un premier plan à l’instar du centre bourg en comparant nos observations de terrain avec les données des cartes anciennes (fig. 5). Comme précédemment, on se rend compte que plusieurs des plateformes repérées sont cohérentes avec le bâti des cartographes du XVIIIe siècle. Toutefois, dans certains cas, on ne peut exclure, du fait des erreurs de représentation, que certaines plateformes coïncident avec des maisons du XIXe siècle. On touche là à la limite de l’exercice de géoréférencement des cartes anciennes.
Fig. 5. Superposition des cartes du XVIIIe et du XIXe siècles et des vestiges repérés en prospection de surface (le code couleur est le même que pour figure 2).
La prospection des parcelles MAA 0012, 0013 et 0014 a permis de repérer la présence d’au moins deux bâtiments aux fondations encore en légère élévation ainsi que deux vastes excavations qui pourraient correspondre à des caves (fig. 6). Ce type de structures semblent différer légèrement des plateformes bien marquées repérées comme celle la plus au nord au Fond de l’Anse ou à l’ouest de Roche à Biche. Il faudra comparer leur morphologie lorsque nous disposerons des MNE sur toutes les zones prospectées.
Sur la parcelle MAA 0017, la prospection des zones érodées par le piétinement des chevaux à proximité d’une autre probable habitation avec cave a mis au jour des tessons de céramique, des fragments de brique et de pipes en terre ainsi que des objets métalliques (fig. 7). Quelques fragments de verre ont également été enregistrés.
Fig. 6. Prospection au Fond de l’Anse des zones érodées de la parcelle MAA 017 (photo. Y. Pailler).
Fig. 7. Matériel provenant de la parcelle MAA 017. A gauche, céramique, grès et faïence ; à droite, fragments de pipes en terre (photos G. Durbet).
Parmi les éléments remarquables, on peut mentionner un tesson de faïence (fig. 8) portant la marque de la manufacture bordelaise Johnston-Vieillard dont la production s’échelonne entre 1835 et 1895.
Fig. 8. A gauche, tesson de faïence avec marque partielle de manufacture ; à droite, marque complète de la manufacture Johnston-Vieillard (photo G. Durbet ; http://www.antiquitesdugolfe.com).
Apparemment, un seul bâtiment est présent sur cette parcelle mais associé à un parcellaire assez conséquent matérialisé par des petits talus rectilignes formant de petits espaces quadrangulaires. Cet édifice pourrait correspondre à l’un de ceux représentés dans ce secteur sur la carte de De Kervegan de 1784.
Au sud de l’embouchure du Ruisseau de l’Anse, les prospections au sol n’ont pas permis de repérer le bâtiment dessiné sur la carte de De Kervegan mais quelques talus rectilignes ont été observés et semblent correspondre à un parcellaire assez dense. Malheureusement, aucun mobilier n’a été découvert sur cette parcelle relativement dense en végétation qui a été perturbé en partie par le passages d’engins lourds mais aussi de quads et de motos cross.
L’équipe de prospection s’est rendue au nord du Fond de L’Anse, en longeant la micro-falaise. Nous avons tenté en vain de retrouvé le bâtiment représenté tout au nord de l’anse par De Kervegan, soit à proximité du lotissement du Fond de l’Anse (fig. 9). Seules anomalies repérées, une grande fosse a été creusée dans le bourrelet littoral et un talus de 3-4 m érigé à son extrémité ouest. Notre sentiment est que De Kervegan s’est trompé dans le dessin du contour du fond de l’anse et aurait mal situé la maison la plus septentrionale.
Fig. 9. Extrait de la carte du chevalier de Kervegan (184). Le secteur du fond de l’anse où 5 habitations sont représentées. La position de la maison la plus au nord nous semble erronée.
A proximité du Petit Gabion, dans une végétation arbustive plutôt rase, une concentration de coquilles a été observée sur une superficie d’environ 1,5 m carrés. Elle semble être composée essentiellement de restes de moules très fragmentées (fig. 10)
Fig. 10. Amas coquillier près du Petit Gabion. A gauche, vue générale ; à droite, vue de détail (photo Y. Pailler).
Il serait souhaitable de réaliser un prélèvement dans cet amas coquillier pour analyses et datation éventuelle. Rappelons pour mémoire que l’équipe de G. Marchand et R. Augier a effectué un sondage en 2021 dans un des amas coquilliers situés au nord du Grand Barachois, celui-ci daterait du XIXe siècle. Voici ce qu’il en est dit dans leur rapport : « Une autre intervention a été effectuée sur la rive nord du Grand Barachois de Miquelon afin d’élucider la nature d’une série d’amoncellements de coquillages que nous avions rapportés sur la berge à la suite de nos prospections en 2019. Deux journées de sondages à cet endroit ont mis au jour une occupation datant du XIXe siècle et associée à un amas coquillier. » (Auger et al., 2021, p. 31).
Ces amas coquilliers du Grand Barachois correspondraient d’après les divers avis recueillis auprès de la population locale à l’activité de préparation de la boëte pour la pêche à la morue. Ces amas que nous avons pu également visiter il y a quelques jours – nous en avons observés trois – comprennent plusieurs espèces de coquillages et les restes coquilliers y sont beaucoup moins fragmentés que dans celui du Petit Gabion.
Fig. 11. L’amas coquillier le plus occidental de la rive nord du Grand Barachois mesure 8 m de longueur sur 20 cm d’épaisseur. Vue générale et vue de détail (photos Y. Pailler).
Roche à Biche
Le secteur au sud du Goulet a fait l’objet d’une couverture quasi-complète au drone et en prospection géophysique. Le MNE a pu être réalisé pour la partie orientale, entre Roche à Biche et l’Etang de la Pointe. Ce secteur a été assez peu observé par nos collègues A.-L. Martinot (2009) et M. Le Doaré (2018) qui ont travaillé précédemment sur le site. En effet, elles se sont davantage concentrées sur la partie occidentale entre Roche à Laralde et Roche à Biche, la première y ayant mené des prospections de surface (fig. 13) et des sondages et la seconde y ayant détecté des anomalies grâce à l’exploitation du LIDAR (fig. 12).
Fig. 13. Roche à Laralde : à gauche, parcellaire quadrangulaire ; à droite, plateforme (photos Y. Pailler).
Nous avons également arpenté à nouveau le secteur entre Roche à Laralde et Roche à Biche dans le but de trouver quelques éléments mobiliers. Une des plateformes en partie ouest du site étant coupée par l’érosion, nous y avons récupéré quelques tessons et des fragments de tuyaux de pipe. Dans la foulée, nous en avons profiter pour rectifier la coupe et la relever sur une longueur de 3 m, ce qui permet de visualiser l’apport de terre nécessaire à la création de cette plateforme artificielle.
Fig. Ravivage d’une coupe de micro-falaise en bordure d’une plateforme à Roche à Laralde, le bombement est nettement visible (photo M. Gransar).
Nous avons commencé à exploiter le MNE de la zone en y superposant, en les dessinant à la main, toutes les anomalies que vous y voyons. Il en ressort 3 sous-ensembles très denses en possibles structures. Une fois ce travail réalisé sur l’ensemble du site, nous retournerons sur le terrain pour éliminer un maximum d’anomalies naturelles.
Fig. 12. De Roche à Laralde à l’Etang de la Pointe. En haut, positionnement du sondage réalisé par A.-L. Martinot (en bleu) et des anomalies (plateformes, parcellaires) repérées par A.-L Martinot et M. Le Doaré sur orthophoto ; au milieu, positionnement du MNE interprété sur orthophoto ; en bas, tracé en rouge des anomalies repérées sur le MNE.
Enfin, dans la partie orientale de Roche à Biche, au milieu d’un affleurement rocheux, nous avons enlevé quelques mottes de poacées le long d’une anomalie quadrangulaire légèrement saillante afin de vérifier son origine anthropique. Cette opération a permis de confirmer notre hypothèse. On voit que plusieurs pierres alignées soutiennent cet aménagement. Par ailleurs, des fragments de briques sont pris dans cette construction dont il conviendra de définir la nature par la suite mais il est probable qu’un petit bâtiment rectangulaire occupe la partie haute d’un affleurement, ce que confirme le traitement du MNE par Sky View Factor[1] (fig. 14).
Fig. 13. Plateforme rectangulaire aménagée sur un affleurement rocheux vue depuis l’est (photo Y. Pailler).
Fig. 14. Au centre de la figure, la plateforme rectangulaire ressort plutôt bien, tout comme le fait que les affleurements rocheux ont largement mis en forme.
Conclusion
Au terme de la 2e semaine, la quasi-totalité des surfaces concernées par des occupations anciennes autour de l’anse de Miquelon ont été prospectées. Dans les prochains jours, nous tacherons d’affiner nos cartes en exploitant au maximum les MNE (fig. 15) et les données géophysiques toujours en cours de traitement.
Dans le secteur au nord du Grand Etang, seuls les abords de la piste de l’aérodrome de Miquelon restent encore à prospecter. M. Morel, responsable du site, nous a donné l’autorisation de le prospecter le lundi 16 mai. Enfin, s’il nous reste un peu de temps, nous tâcherons d’effectuer quelques prospections complémentaires du côté de Mirande, du Calvaire et du Grand Barachois.
Fig. 15. Exploitation de détail du MNE. Parcellaire quadrangulaire subdivisé lui-même en 9 carrés à l’intérieur desquels des sillons de culture sont visibles. D’autres anomalies sont visibles de part et d’autres du grand carré.
Bibliographie
AUGER R., MARCHAND G., BITRIAN A., ROGER C., (2021) – Rapport final d’opération de fouille programmée. Le site de l’Anse-à-Henry, Saint-Pierre, Saint-Pierre-et-Miquelon, Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne, 31 p.
LE DOARE M. (2018) – Rapport de prospection Archéologique, Analyse des données par télédétection par LiDAR de l’archipel de Saint-Pierre et Miquelon, Sept.-Nov. 2018, SRA de Bretagne, 38 p. & fiches d’indexation non paginées.
MARTINOT A.-L. (2009) – Evaluation et enjeux : le potentiel archéologique de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, Amérique du Nord, Rapport préliminaire de prospections et sondages du site de la Roche à la Biche, commune de Miquelon-Langlade, saison 2009, 114 p.
[1] Le Sky View Factor (SVF) est un indice de visualisation qui mesure la portion de ciel visible en un point donné sur une demi-sphère. L’algorithme calcule l’angle vertical d’élévation par rapport à l’horizon pour n directions spécifique au rayon (ici 16). Sur un point haut, la proportion de ciel visible sera grande, alors que dans un milieu en excavation, la portion de ciel visible sera réduite (L. Saligny, 2014, https://goutergeo.hypotheses.org/tag/sky-view-factor).