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Terrain sur Miquelon, Semaine 20 : du lundi 16 mai au dimanche 22 mai 2022

Equipe composée de Marie Cormier (PIIRESS), Gilles Durbet (Inrap), Clément Féliu (Inrap), Benjamin Fores (Inrap), Marc Gransar (Inrap), Alexandre Hublart (DTAM), Yvan Pailler (Inrap/UBO), Maxime Pallarès (Inrap), François-Xavier Simon (Inrap).

Introduction

Au terme de cette quatrième semaine, nous avons achevé la prospection de l’ensemble des secteurs que nous avions sélectionnés en nous basant sur le géoréférencement des cartes anciennes. Sur les 4 secteurs, trois ont livré des éléments tangibles d’occupations anciennes comme des plateformes accueillant des maisons, des talus délimitant du parcellaire ou des concentrations de mobilier. Les prospections pédestres, en particulier par lumière rasante, permettent dans la majorité des cas de distinguer ces vestiges ténus que permettent d’illustrer les modèles numériques d’élévation. Quant aux prospection géophysiques, elles mettent en évidence aussi bien des concentrations de mobilier de type brique ou métal que des plans de bâtiments.

Fig. 1. Carte des secteurs prospectés autour de l’anse de Miquelon.

Les prospections pédestres autour de l’anse de Miquelon se sont achevées cette semaine avec le secteur de l’aérodrome (fig. 1). Nous avons donc étendu nos investigations à des zones où des traces d’occupations anciennes sont connues soit par la cartographie ancienne, soit par les archives ou encore par des observations récentes de terrain. C’est ainsi que nous avons parcouru la colline du Calvaire où des découvertes d’objets métalliques ont été faites par le passé, le secteur de Mirande où R. Etcheverry avait décrit il y a quelques temps un ensemble de murets en pierre sèche, les abords de l’étang du Chapeau, ou encore la rive nord du Grand Barachois, secteur densément occupé par le passé par les pêcheurs qui venaient y collecter des coquillages pour y faire de la boëtte.

Les prospections géophysiques de la deuxième semaine ont bénéficié d’un positionnement GNSS centimétrique avec la réparation de la base RGP de l’IGN grâce au soutien de la DTAM.  Après une dernière acquisition basée sur une grille lundi matin à Roche à Biche (méthodes radar et électromagnétique), toute les prospections suivantes ont été réalisées au GNSS (fig. 2).

Figure 2 : A gauche, charriot de portage du système magnétique (MXPDA de Sensys) avec positionnement centimétrique par GNSS et correction sur la base RGP de l’IGN ; à droite, charriot de portage du système radar (GSSI antenne DualFrequency) avec positionnement centimétrique par GNSS et correction sur la base RGP de l’IGN.

Du lundi après-midi au jeudi matin, la quasi-totalité des parcelles accessibles sur lesquelles des indices de sites (soit topographiques, soit matériels) ont été détectés par l’équipe archéologique ont pu être cartographiées avec la méthode magnétique. Cela comprend des parcelles à l’ouest du bourg, au fond de l’Anse, ainsi qu’une très grande partie de la Roche à la Biche.

Résultats préliminaires des prospections géophysiques

A l’ouest du bourg les données sont particulièrement bruitées. Les parcelles ayant été utilisées comme dépotoirs ou zones de dépôt de déblais, on observe de nombreuses anomalies magnétiques fortes et probablement en lien avec une pollution récente. Les résultats obtenus sur cette zone ne permettent pas de trancher sur la présence/absence de sites dans ce secteur.

Il en est tout autrement sur le secteur de la Roche à la Biche (fig. 3).

Figure 3. Vue générale de l’emprise de la prospection magnétique à la roche à la biche.

Malgré des affleurements de roches particulièrement magnétiques, on peut observer sur les cartes d’anomalies magnétiques des zones très bien délimitées et riches en petites anomalies magnétiques. Ces anomalies pourraient être dues à des éléments en terre cuite ou en fer répartis de façon plus ou moins épars dans ces potentielles zones d’habitat. Certaines de ces zones ont été investiguées avec la méthode radar afin de préciser la nature de l’origine du signal (fig. 4 et 5).

Figure 4. Roche à la biche. a. Carte des anomalies magnétiques. On observe à l’ouest une concentration d’anomalies magnétiques fortes en lien avec la présence de matériels archéologiques probables. Quelques anomalies linéaires reprennent les traces du parcellaires visibles au centre de la carte (avant la clôture actuelle marquée par de très fortes anomalies noires/blanches). b. Carte des réflecteurs radars. On observe des réflecteurs assez peu profonds (20 à 30 cm) qui coïncident avec la zone de plus fortes concentrations d’anomalies magnétiques.

Figure 5. Roche à Biche – a. Carte des anomalies magnétiques. A l’est, on observe de fortes anomalies (noires et blanches correspondant aux remontés de roches volcaniques) ; à l’ouest, une concentration d’anomalies marquent sans doute la présence d’un bâtiment. b. Carte des réflecteurs radars sur la même zone.

Dans la zone du fond de l’Anse, les résultats rappellent ceux de la roche à la biche bien que plus bruités. Ici aussi on peut observer des amas d’anomalies magnétiques fortes. Il est très probable que ces zones correspondent à l’emplacement d’anciennes maisons, sans pour autant offrir une richesse de détail nécessaire à la compréhension de leur architecture voir de leur organisation spatiale interne. Ici la comparaison avec les données topo issu du MNE sont assez parlantes (fig. 6). Notons que les résultats de la méthode magnétique sur la butte au nord de l’Anse montrent un secteur très peu bruité c’est-à-dire probablement sans concentration significative de matériaux en terre cuite et fer.

Figure 6. Fond de l’Anse – a. Carte du MNE et de du LRM (rayon de 20 pixel), b. Carte des anomalies magnétiques. C. Fusion du MNE et de la carte magnétique. On observe au centre une forte concentration d’anomalies qui marque probablement la présence d’un bâtiment dont les contours sont visibles sur le MNE. Des anomalies linéaires lui sont associées mais restent assez difficiles à distinguer. La fusion des deux types de données permet d’avoir une idée globale de l’emprise de cet établissement ainsi que la potentielle zone d’activité ou d’habitat associée au bruit magnétique.

Des zones restreintes ont été prospectées au géoradar sur la base des cartes magnétiques de la roche à la biche et au fond de l’Anse. Les résultats issus du radar sont assez variables d’un secteur à l’autre. On observe sur certaines zones de nombreuses anomalies linéaires fines qui pourraient correspondre à des vestiges de bâti plus ou moins labiles alors que d’autres secteurs n’en présentent que très peu. Il faut également noter que la microtopographie peut avoir un effet non négligeable sur les données radar. Avant toute interprétation approfondie il faudra donc comparer les images radar et géophysique en général avec le MNE réalisé par la DTAM.

Ces cartographies restent préliminaires. Il va falloir maintenant réaliser un travail de fond sur les données géophysiques afin de les traiter convenablement en tenant compte des spécificités et des sols de chaque zone étudiée. Elles pourront ensuite être finement comparés avec les fonds aériens et cartographiques à disposition ainsi qu’avec les MNE réalisés par la DTAM.

Les prospections pédestres

Le secteur de l’aérodrome

Une prospection complète des abords de l’aérodrome a été réalisée ; les seules anomalies constatées correspondent à des talus et coïncident avec les limites des parcelles du cadastre actuel. Le mobilier recueilli se limite à de rares éléments mobilier (fragments de brique et tessons de faïence).

Le Calvaire

Suite aux découvertes d’objets métalliques faites par un « détectoriste », nous avons arpenté la partie haute de la colline de calvaire et les flancs nord et ouest. Malgré la présence de surfaces érodées en partie haute, nous n’avons rien repéré hormis un chemin sur le flanc nord qui se termine par une surface plane qui pourrait avoir été aménagée.

Entre la Grande Anse de l’Ouest et l’anse aux Warys

La carte de La Roche Poncié du XIXe indique la présence d’habitations entre le Boyau et l’anse aux Warys. Nos prospections ont mis en évidence plusieurs plateformes alignées, au moins deux hameaux bien nets et quelques autres habitations plus disséminés. Ce secteur a servi de décharge à ciel ouvert il y a peu encore. Cette zone sera à re-prospecter par lumière rasante. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir y effectuer un survol drone. Alain Orsini possède des photos du Dr Thomas prises entre 1911 et 1926, où on l’on voit des maisons en élévation dans ce secteur-là de l’île. Il s’agissait de maisons de pêche construites par les Miquelonnais afin d’accéder plus rapidement aux bancs de pêche qui se trouvaient davantage du côté ouest de l’île. Ces maisons ont été démontés en 1927 avec le développement des moteurs sur les bateaux.

Figure 7. Autres secteurs prospectés sur Miquelon

L’étang du Chapeau

Nous avons parcouru le secteur en contrebas de la route de Mirande qui correspond certainement à l’ancien Chemin des Roses (fig. 7). Cette initiative fait suite à la lecture de cette citation du R. P. David au XIXe s. : « des cabanes furent bâties entre l’étang du Chapeau et le Grand Étang ; et les traces de constructions que l’on relève encore sur la plage, en longeant la colline entièrement déboisée de nos jours et répartie en parcs multiples qui ne sont que d’anciens jardins, formaient le village anéanti, limité au sud par le fameux chemin des Roses qui s’en va serpentant dans la direction de Mirande ». Aucune particularité topographique n’a été observée, dans ce secteur en pente douce. Il a été décidé de poursuivre la prospection le long de la rive sud-ouest de l’étang jusqu’à La Pointe du Chapeau afin d’observer d’éventuelles particularités géologiques ou anthropiques. A proximité de la pointe sud de l’Etang du chapeau, sous une couverture boisée, un pointement rocheux est visible. Il s’agit d’au moins deux affleurements parallèles délimitant des espaces naturelles. Les parois sont sub-verticales à verticales et pourraient avoir été utilisés ponctuellement comme abri.

Il est probable que la description de R. P. David concerne exclusivement le secteur entre le sud du Goulet et l’Etang de la Pointe.

Mirande

A Mirande, nous avons suivi le tracé des talus et des murets repérés par R. Etcheverry (en rouge sur le plan ; fig. 8). Nous avons également vérifié certaines anomalies notées dans cette zone par M. Le Doaré d’après l’examen du LIDAR ; la majorité d’entre elles correspond à des fossés de drainage. Malgré des différences de constructions (talus en terre, en tourbe, à base de pierre et recouvert de tourbe ou en pierres sèches). Il est vraisemblable que l’ensemble des talus et murets appartiennent à un seul et même ensemble. En effet, à plusieurs reprises, la nature du talus/muret varie, ces variations semblent directement liées à l’endroit où il est érigé et donc à la nature du substrat.

Figure 8. Cartographie des talus et murets et des bâtiments relevés au DGPS lors de nos prospections dans le secteur de Mirande.

A 400 m du rivage, le long du ruisseau des Godiches (ou ruisseau de Mirande), nous avons relevé une forme rectangulaire fermée de 30 m de longueur par 20 m de largeur ; elle est établie sur une plate-forme naturelle entourés de bras morts du ruisseau. Elle est délimitée par des murs en pierre sèche de 60 à 80 cm d’épaisseur. Il pourrait d’agir d’un enclos abritant les bâtiments d’une ferme.

Plus près de la côte encore, on observe un bâtiment de plan quadrangulaire de près de 8 m de côté dont la base des murs encore en élévation est en pierre. A 30 m environ se trouve un grand four de plan carré (3,5 m de côté ; fig. 9). Les nombreuses briques visibles en surface ou dans les éboulis proviennent d’une usine située à Tarnos dans les Landes. Il pourrait s’agir des vestiges de la ferme Autin détruite en 1927.

Figure 9. Le four de Mirande. A gauche, vue générale ; à droite, vue de détail, noter l’agencement des briques en arc de cercle.

Si l’on se base sur une description tiré du JO de 1875  « autorisant le sieur Autin à bâtir une ferme en haut du ruisseau des Glodiches », il est plausible que ces bâtiments et le système parcellaire relevé puissent correspondre à la ferme Autin. Toutefois, pour corroborer cette hypothèse, il nous faudrait retrouver la feuille cadastrale de l’époque qui est peut-être conservée aux archives de l’Arche à Saint-Pierre.

Havre des Terres Grasses

Le Havre des Terres Grasses (fig. 7) est une sorte de petite rade abri, en arrière de l’étang de Mirande. Cette configuration nous semblant particulièrement propice à une occupation humaine, nous avons décidé d’observer l’ensemble des berges. David Poirier, employé communal, nous y a emmenés en bateau le matin et nous a ainsi permis de gagner un temps précieux. Malgré une prospection attentive, nous n’avons découvert qu’un fer à cheval à crampons et des possibles structures empierrées submergées dont nous ignorons si elles sont anthropiques ou non, aucun mobilier ne leur étant associées.

Le nord du Grand Barachois

Figure 10. Carte de répartition des amas coquilliers et des tauds repérés sur la rive nord du Grand Barachois.

Le long de la rive nord du Grand Barachois (fig. 10), nous avons repéré au moins 5 amas coquilliers dont certains s’étendent sur plusieurs mètres de longueur mais qui paraissent aujourd’hui bien érodés :

Figure 11. Log des amas coquilliers n° 3, à gauche et n° 2, à droite (photo Y. Pailler).

– le premier (n° 1) au parking près de la cabane verte,

– un autre à l’ouest de Pointe Quine qui a été sondé par l’équipe de G. Marchand et R. Auger (n° 2 ; fig. 11). Un fer de hache a été recueilli au pied de l’amas.

– les n° 3, 4 se trouvent sur la rive sud de la Presqu’île. Dans l’amas n° 3 (fig. 11), nous avons récolté un clou en fer forgé et, au pied de l’amas, se trouvait une porte de poêle.

– le n° 5 est sur la rive sud-est de la Presqu’île, en contrebas de l’endroit sont visibles plusieurs tauds.

– le n° 6 est au sud de l’île aux Chevaux.

Sur la presqu’île, 5 ou 6 formes ovalaires à peine creusées sont difficilement visibles dans la végétation herbacée (fig. 12). Elles correspondent à des abris en forme de bateau, appelés localement des tauds. Les pêcheurs les construisaient lorsqu’ils venaient faire de la boëtte au Grand Barachois. La dune était alors creusée sommairement de manière à avoir la forme du doris, les mottes de végétation disposées autour, avec éventuellement quelques blocs de pierre et le doris retourné par-dessus servait de toit. Enfin, une entrée était ménagée au sud vers la grève du Grand Barachois où les chercheurs allaient chercher à marée basse des coquillages (coques) pour boëtter les lignes (fig. 13).

Figure 12. Tauds sur La Presqu’île. A gauche, le contour de la légère dépression a été souligné par une ligne pointillé rose ; à droite, la forme ovalaire en creux se distingue légèrement devant le topographe (photos Y. Pailler).

Figure 13. La boëtte au Grand Barrachois. A gauche, pêcheurs revenant d’avoir collecté de la boëtte dans des paniers avec un doris en arrière plan ; à droite, pêcheurs au Goulet en train d’écaller des « coques » devant une cabane et amas coquillier au premier plan (photos non datées, auteur inconnu).

Conclusion

Le travail de prospection est désormais quasi achevé. Il nous reste encore à réaliser le survol drone de secteurs tels que l’ancien bourg de Miquelon, la bande littorale comprise entre le Boyau et l’anse aux Warys et si possible le site de la Presqu’île au nord du Grand Barachois. L’équipe va désormais s’attacher à mettre en forme les résultats obtenus lors des prospections afin de présenter un rapport détaillé dans les plus brefs délais. Ainsi les cartographies vont être finalisées et exploitées. Quant au mobilier archéologique, il sera inventorié, photographié voire dessiné. Une fois ces analyses effectuées, nous proposerons de réaliser des sondages ciblés sur des secteurs qui nous paraissent prometteurs pour répondre à la question des premiers peuplements de colons européens sur l’île de Miquelon.

Remerciements :

Nous remercions Monsieur le Maire de Miquelon, Franck Detcheverry et son adjoint Denis Detcheverry pour l’intérêt qu’ils portent à nos recherches et les agents municipaux pour leur accueil, leur gentillesse et leur disponibilité. Un grand merci à David Poirier pour nous avoir emmenés en bateau au Havre des Terres Grasses. Un grand merci à tous les îlien(ne)s avec lesquel(le)s nous avons pu échanger sur leurs observations ou leurs découvertes. Enfin, nous ne saurions oublier Roger Etcheverry, Alain Orsini et Jean-Pierre Detcheverry pour les renseignements qu’ils nous ont fourni et Lauriane Detcheverry, directrice du musée de l’Arche et son équipe pour leur aide dans les recherches en archives.

La cellule géophysique tient à remercier très sincèrement Alexandre Hublard de la DTAM pour son soutien et son expertise sur les questions de positionnement et le lien qu’il a établi avec le service de l’IGN, Marie Cormier de la PIIRESS pour son soutien et son expertise logistique, ainsi que M. Cormier et Alain de Nath et Lyne pour leur gentillesse et leur disponibilité. Le succès de l’acquisition géophysique à Miquelon leur ai dû.